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Le syndrome pirandello

Ils arrivent parfois à me faire prendre un crayon, quand la pression est trop forte, et je les laisse sortir un moment. Ils sont beaucoup plus calmes après et parlent moins fort. Quand ils me racontent leur histoire, ils ne disent pas tout, leurs récits sont parfois un peu embrouillés et c'est à moi de comprendre, seul, ce qui les unit. Sont ils voisins, amis, parents et pourquoi viennent ils troubler ma quiétude? peu à peu, je commence à les connaître et quelques fois leurs histoires tournent en boucle dans ma tête. Quelques fois, pas: Ils ne répondent pas à l'appel quand j'ai besoin d'eux. Si je me mets à écrire, ça peut vite devenir la cacophonie, chacun m'abreuvant de détails, ou un silence sidéral dans lequel je peine à ressusciter les ressorts et les dialogues. Assis seul à table, à dîner en tête à tête avec le frigo, l'un peut venir m'expliquer pourquoi ceci ou l'autre me détailler comment cela. Et ainsi, par bribes, l'intrigue se révèle, l'histoire se construit. Parfois je note à la va vite l'anecdote qu'untel me raconte sans savoir si elle a sa place dans le schéma général de leur histoire. Juste parce que les mots se marient bien, qu'un mot inusité me titille. Il est assez fréquent que le discours de l'un ne cadre pas avec celui d'un autre, et je cherche la vérité à travers ce fouillis d'idées, recalcule l’enchaînement des événements pour être lisible.

Et puis...

Des jours...

Un jour, suivi d'un autre jour et d'un autre suivi encore, rien.

Le doute s'installe. Suis je capable d’écrire une histoire? j'en profite pour me relire, travail fastidieux. Me corriger, scruter l'accord des temps, des participes, réviser mes conjugaisons, trouver le mot qui exprime mieux ma pensée et écouter, à haute voix, la musicalité des mots et la ponctuation. Et le temps passé à ce travail me fait apprécier le chemin parcouru. Ça recharge un peu les batteries. Mais les mots ne viennent plus seuls, comme chuchotés dans mon oreille, et je peine à les empiler pour construire une phrase. Il faut insister et ça ressemble à du travail. Puis les voila de retour, pas tous content de ce qui est écrit. Et je vais rajouter une phrase, par ci par là, changer un mot, enlever un détail avant qu'ils ne disparaissent à nouveau et me laissent ramer.

Essayer d’écrire, c'est avoir des habitants dans ses poches. Chance inouïe, il ne m'ont jamais empêché de dormir.