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Première cuite

    C'est la fête votive du village. La plus grosse du canton et même au-delà. Au milieu de la foule dansante et tonitruante qui emplie la place, je me dirige à nouveau vers la baraque qui englouti mon argent de poche. Des petites carabines à mécanisme winchester, pour casser des tubes en céramique dans lesquels sont planté des petits drapeaux ou crever des ballons prisonniers d’élastiques pour gagner un pistolet à eau ou à amorce. Et une mitrailleuse à air comprimé, dont le forain rempli l'entonnoir de petit plombs avec une boite de conserve, avec laquelle il faut découper un cible représentant un tireur debout, pour avoir un lot plus conséquent. J'ai beaucoup observé et au moment le plus calme ou la plupart étaient attablé ou virevoltant suis allé déposer mes pièces en face de l'engin aux deux poignées sous les yeux du forain inoccupé. Je craignais qu'il refuse vu mon jeune age et le petit écriteau, mais il a rempli l'entonnoir avant de prendre mes pièces sur son comptoir. Je me suis tellement appliqué que, de gauche à droite, posément j'ai découpé la cible, et que le forain m'a donné à choisir entre une peluche pour ma mère ou une bouteille de mousseux pour mon père. Il ne l'aurait pas trouvé bon, sûrement. J'ai été surpris par ce bouchon plastique qui sortait seul sitôt sa gangue de fer enlevée et la mousse s’écoulant, mais plus encore par ce goût un peu métallique au goulot et mon état cotonneux quand ma mère m'a couché chez mes grand-parents.

J'appelle ça première cuite mais d’après les confidences de la famille, j'aurais vidé les fonds de verres de chartreuse et de Marie Brizard à la fin du banquet de la communion de mon oncle, alors que j'avais trois ans et que tout le monde dansait.